Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français

Le Français aujourd'hui n° 199

Catégorie(s)
Auteur
Coordonné par Anissa BELHADJIN, Isabelle DE PERETTI & Maryse LOPEZ
Titre
Quel français au lycée professionnel ?
Numéro
199
  • le FA

    Selon Repères et références statistiques 2017, « à la rentrée 2016, près d’un quart des élèves de Troisième générale a intégré la voie professionnelle sous statut scolaire : 19,4 % en seconde professionnelle et 3,7 % en première année de CAP ». Sur les 665 000 élèves de la voie professionnelle (41,5 % des élèves du second cycle), 17 % préparent un CAP ; plus de 80 % sont inscrits en baccalauréat professionnel.

    Consacrer un numéro du français aujourd’hui à l’enseignement du français dans ce segment scolaire se justifie donc pleinement, d’autant que le nombre d’années qui sépare chaque numéro de la revue dédié à l’enseignement professionnel fait apparaitre ses importantes évolutions. Le numéro de 1977, « Un autre réseau : le technique », donne à voir un monde largement ignoré et considéré comme ne relevant pas complètement de l’école du fait de la formation au métier. Dans celui de 1991, « Le français dans le technique », la tension semble s’être en partie estompée en raison du rapprochement du LP avec le secondaire général, rendu visible par la création du baccalauréat professionnel en 19851. La filière professionnelle offre désormais un cursus complet pour former les futurs travailleurs dans un cadre scolaire. La préoccupation du numéro est avant tout de souligner la spécificité des publics pour penser la discipline « français » ainsi que les pratiques pédagogiques innovantes propres à ce segment scolaire (De Peretti 1991).

    Quelles pourraient être les évolutions soulignées dans un numéro de 2017 ? Pour les envisager, il est nécessaire de prendre en compte le contexte dans lequel elles s’inscrivent à partir d’un état des lieux de l’enseignement professionnel, des particularités de ses élèves et de ses enseignants. Un cheminement historique éclairera ensuite un processus de disciplinarisation2 original.

    La discipline « français » dans l’enseignement professionnel ne peut être réfléchie en dehors de la question des différents diplômes préparés (CAP, baccalauréat professionnel…), ceux-ci étant étroitement liés aux questions économiques et à l’employabilité au sein des différentes branches professionnelles. Dans ce contexte, dans les cadrages horaires des différentes sections, le français prend place à côté des disciplines professionnelles, largement majoritaires, ce qui fait du français un enseignement « dominé » (Troger 2008). Par exemple, un élève de baccalauréat professionnel « technicien d’usinage » accomplit par an 384 heures d’enseignement professionnel ; et 126 heures de français-histoire-géographie-enseignement moral et civique.Un premier article de cadrage, en lien avec cette réalité, insiste sur la « métamorphose permanente » de l’enseignement professionnel en s’intéressant plus particulièrement aux évolutions consécutives à la création du baccalauréat professionnel (1985). Pour Fabienne Maillard, en effet, malgré la création de ce diplôme censé revaloriser la voie professionnelle, des incertitudes demeurent, trente ans plus tard, quant à sa réelle valeur sur le marché du travail.

    Les articles proposés ensuite s’inscrivent dans deux perspectives didactiques différentes.

    La première regroupe des réflexions qui abordent la discipline sous l’angle épistémologique. Tout d’abord, un article de collègues belges (Caroline Scheepers, Anne-Catherine Werner et Pierre Outers) est consacré aux représentations des enseignants et des élèves pour l’enseignement-apprentissage du français dans la filière qualifiante, qui peut délivrer des diplômes professionnels.

    Ensuite, deux articles s’intéressent plus particulièrement aux objets disciplinaires. Stéphanie Lemarchand défend l’idée que le recours à des « textes résistants » permet parfois de lever les résistances à la lecture d’élèves qui se définissent comme non-lecteurs. Angeline Joyet et Gersende Plissonneau font le point sur l’enseignement de la grammaire en LP à partir d’un questionnaire et de quelques entretiens avec des enseignants de lettres-histoire. Il en ressort l’idée d’un « relatif contournement de l’enseignement grammatical » lié aux particularités d’un public en échec scolaire.

    Enfin, dans un contexte où l’enseignant de français est bivalent (soit lettres-langues, soit lettres-histoire-géographie), l’article de Marie-France Rossignol propose la notion d’« intervalence » pour présenter une démarche articulant, sur les plans curriculaire et didactique, les deux valences enseignées.

    La seconde perspective se situe du côté des pratiques. Vincent Massart et Cécile Perret examinent comment la lecture de films peut concourir, comme la littérature, à construire le rapport au monde et à la culture des jeunes. Florence Guittard interroge l’unité de la discipline « français » à partir du moment où un certain nombre de dispositifs lui sont adossés pour permettre d’accompagner le parcours des élèves. Les propositions d’Aline Chudy, Alexandre Baron et Gaëtan Férir s’inscrivent dans les multiples « tensions structurantes » (Reuter 2012) qui traversent la discipline. Aline Chudy, en CAP, s’appuie sur la bivalence lettres/histoire-géographie pour motiver les élèves. Alexandre Baron intègre des techniques participatives de développement de la créativité pour approcher les objets d’études du baccalauréat professionnel pour des élèves qui « entretiennent un rapport difficile avec le français ». Gaëtan Férir privilégie une approche culturelle comme « moyen de stimuler des jeunes qui sont en état de tension ou de crispation avec le système scolaire ».

    Résumés des articles

    Les évolutions de l’enseignement professionnel depuis 1985 : entre innovations et ruptures

    par Fabienne MAILLARD

    Si la métamorphose permanente caractérise l’enseignement professionnel depuis son origine, elle a pris un rythme particulièrement soutenu à partir de la création du baccalauréat professionnel en 1985. Les transformations de cette filière d’enseignement se sont en effet succédé sans interruption et ne devraient pas s’arrêter là. Son architecture a été totalement modifiée et les diplômes, qui prévalaient il y a trente ans, ont changé à la fois de position et de statut. Aujourd’hui, le baccalauréat professionnel est le premier diplôme de l’enseignement professionnel, mais c’est aussi le deuxième baccalauréat de France par le volume de ses candidats. C’est aussi un diplôme de poursuite d’études, qui doit contribuer à la hausse générale du niveau d’éducation. Cet article revient sur les mutations entreprises par le ministère de l’Éducation nationale, en soulignant à la fois le volontarisme politique à l’œuvre dans les réformes – qu’elles soient ou non nommées ainsi – et les contradictions qui l’émaillent. 

    Mots-clés : enseignement professionnel ; diplôme ; baccalauréat professionnel ; réforme.

    Enseigner et apprendre le français dans le secondaire de qualification en Belgique francophone : regards croisés

    par Caroline SCHEEPERS, Anne-Catherine WERNER & Pierre OUTERS

    L’enseignement-apprentissage du français dans le qualifiant en Fédération Wallonie-Bruxelles vient de connaitre une profonde mutation. Dès lors, enseignants, élèves et formateurs voient leurs pratiques remaniées. C’est cette situation que la présente contribution entend éclairer. Quelles sont les finalités du cours de français dans les filières qualifiantes ? Quelles seraient ses spécificités ? Comment le français est-il décliné en compétences, en domaines ? Le français dans le qualifiant constitue-t-il une discipline à part entière ou est-il nécessairement instrumentalisé au service des autres apprentissages ? Quelles sont les pratiques lecturales scolaires et extrascolaires des élèves ? Quelles sont les compétences et les composantes identitaires des enseignants et des élèves ? Nous avons pu recueillir les représentations d’une trentaine d’enseignants et de plus de cinq-cents élèves. Les résultats interpellent à triple titre : ils concernent des problématiques peu étudiées, ils s’avèrent quelquefois largement contre-intuitifs et ils donnent à voir des disparités significatives entre les représentations des différents acteurs consultés.

    Mots-clés : lycée ; filière professionnelle ; fédération Wallonie-Bruxelles ; enquête ; représentations.

    Lecture résistante, résistance à la lecture. Construire le sujet lecteur au lycée professionnel

    par Stéphanie LEMARCHAND

    La question qui se pose au professeur est de faire lire des œuvres à des élèves qui sont parfois – ou se revendiquent – non-lecteurs. Comment articuler la nécessité didactique : proposer des textes résistants pour mettre les élèves au travail sur les œuvres, et la réalité d’une classe dans laquelle un grand nombre d’élèves résistent à la lecture ? Comment engager la construction du sujet lecteur avec des élèves non-lecteurs ? Des exemples concrets permettent d’expliquer les résistances des élèves à la lecture et d’observer ce qui se produit lorsque l’on permet aux élèves un engagement subjectif dans les œuvres. En somme, il s’agit de montrer comment l’utilisation de textes résistants permet parfois de lever les résistances à la lecture.

    Mots-clés : lecture littéraire ; sujet lecteur ; non-lecteur ; textes résistants ; appropriation.

    Enseigner la grammaire en baccalauréat professionnel : défi ou défiance ?

    par Angeline JOYET & Gersende PLISSONNEAU

    Dans le programme de français de baccalauréat professionnel (2009), « le travail de la langue constitue un objectif majeur du cours de français ». Mais qu’en est-il des pratiques d’enseignement de la langue aujourd’hui ? Les notions figurant au programme sont-elles effectivement travaillées ? L’article apporte des pistes de réponses à partir du traitement d’un questionnaire renseigné par une centaine d’enseignants bivalents de lettres-histoire et d’entretiens conduits auprès de cinq d’entre eux. Il s’intéresse aux pratiques déclarées des enseignants et donne en outre un éclairage sur le rapport qu’ils entretiennent avec la grammaire et son enseignement. 

    Mots-clés : professeurs bivalents ; grammaire ; phrase complexe ; programme du baccalauréat professionnel.

    Intervalence et didactique du français dans la formation en master « lettres-histoire- géographie » et « lettres-langues »

    par Marie-France ROSSIGNOL

    L’article interroge la place et les enjeux de l’enseignement de la didactique du français dans les masters « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF) formant à enseigner les « lettres-histoire-géographie » et les « lettres-langue » en lycée professionnel. La visibilité accrue de ce champ dans les maquettes de masters n’occulte pas les difficultés qui subsistent pour l’investir en formation : adaptation complexe à un public majoritairement démuni de bagage littéraire ; volume horaire restreint, à partager entre les valences et avec d’autres objets de formation ; articulation aléatoire avec un exercice effectif du français dans les établissements de stage. De telles contraintes invitent à recourir à des pratiques de formation innovantes tel le dispositif instauré depuis 2015 à l’ÉSPÉ de Créteil pour les étudiants de master 2 « lettres-histoire » et « lettres-langue » dans le cadre du séminaire de recherche. Le travail lié au mémoire qui leur est proposé porte sur l’élaboration, l’expérimentation, et l’évaluation qualitative de séances ou séquences d’enseignement articulant sur les plans curriculaire et didactique les valences enseignées. La mise en relation des disciplines s’effectue par la construction d’un modèle didactique à caractère interdisciplinaire, adapté au contexte bivalent. Le paradigme d’« intervalence » est avancé pour désigner ces pratiques fondées sur l’interaction des disciplines enseignées en lycée professionnel. L’examen des quinze mémoires soutenus au cours de l’année 2016-17 ne peut fournir pour l’instant de bilan probant des gains de professionnalisation obtenus. Il tend cependant à montrer que les pratiques « intervalentes » encouragent le développement de compétences didactiques en français ainsi que la construction d’une identité professionnelle d’enseignant bi- ou tri-valent.

    Mots-clés : didactique du français ; intervalence ; bivalence ; formation des enseignants débutants ; master MEEF.

    La lecture des films en cours de français : un enjeu de formation pour les enseignants et les élèves

    par Vincent MASSART & Cécile PERRET

    L’article rend compte d’un travail de recherche-action à L’ÉSPÉ de Lyon. Les récits contemporains partagés sont véhiculés par l’industrie cinématographique ; qu’ils prennent la forme de séries (Game of thrones) ou de blockbusters (Avatar, Hunger games), de film ou de dessins animés. Dans quelle mesure ces récits peuvent-ils être intégrés au corpus de la littérature étudiée au lycée professionnel ? Le projet de former des sujets-lecteurs de ces supports narratifs contemporains est d’autant plus pertinent que les élèves apparaissent assez dépourvus de stratégies interprétatives face à ces récits qu’ils regardent sans les lire. Si tous ces récits constituent un « laboratoire des cas de conscience » dans lequel s’élaborent les modalités d’agir des lecteurs-trices, alors il est urgent de permettre aux élèves de lycée professionnel d’identifier les discours à l’œuvre dans ces récits et de construire à leur propos la possibilité d’en devenir lecteur-interprétant, afin de devenir des citoyens agissant.

    Mots-clés : littérature ; discours ; blockbuster ; lecture ; didactique ; éthique.

    Le français en lycée professionnel : entre enseignement disciplinaire et dispositifs transversaux

    par Florence GUITTARD

    Avec les nouveaux programmes de lycée professionnel de 2009, on assiste, d’une part, à un renforcement du processus de disciplinarisation du français qui, fortement adossé à des contenus universitaires, accorde une large place à la littérature et, d’autre part, à un effacement du français fonctionnel ou « utilitaire ». En parallèle, apparaissent des dispositifs largement transversaux (accompagnement personnalisé, enseignements généraux liés à la spécialité), ainsi que différents parcours (« Citoyen, santé, éducation artistique et culturelle, avenir ») et d’autres modalités de prises en charge destinées aux élèves à besoin particuliers. Cette évolution interroge la discipline « français » et pose la question de l’éclatement, réel ou supposé, des enseignements. Elle s’accompagne en effet d’un manque de visibilité qui fragilise la conscience disciplinaire. L’étude montre, à partir d’un exemple de pédagogie active, dans quelle mesure la mise en œuvre de projets interdisciplinaires peut apporter une réponse, certes parcellaire, à cette impression d’émiettement des enseignements. Parce qu’ils donnent du sens aux apprentissages et offrent des situations multiples et variées, les dispositifs et autres parcours permettent de construire des compétences tant disciplinaires que transversales et favorisent le transfert de connaissances. Quant aux gestes professionnels, ils contribuent, notamment grâce à l’explicitation, à créer du lien et à donner plus de cohérence aux apprentissages qui apparaissent ainsi moins segmentés.

    Mots-clés : discipline prescrite et actualisée ; conscience disciplinaire ; transfert de connaissances ; dispositifs transversaux vs parcours.

    Enseigner le français en lycée professionnel : exemples de pratiques

    par Alexandre BARON, Aline CHUDY & Gaëtan FÉRIR

    Les spécificités de l’enseignement du français en lycée professionnel reposent sur des facteurs historiques, institutionnels, sociologiques, didactiques et pédagogiques. La discipline est traversée de multiples tensions structurantes qui expliquent les pratiques de classe, comme dans les exemples fournis par trois enseignant.e.s reconnu.e.s à divers degrés par l’institution : i) Alexandre Baron définit quatre formes dominantes de rapport aux savoirs et présente des activités mises en œuvre en baccalauréat professionnel pour des élèves qui entretiennent un rapport difficile avec le français ; ii) Aline Chudy propose une séquence en certificat d’aptitude professionnelle (CAP) afin de motiver les élèves grâce à la bivalence et susciter intérêt et investissement ; iii) Gaëtan Férir choisit de privilégier l’approche culturelle comme moyen de stimuler des jeunes qui sont en état de tension ou de crispation avec le système scolaire. Trois expériences qui se rejoignent sur les publics et leur rapport aux savoirs, et qui mettent en œuvre des enseignements originaux et créatifs dans le cadre d’un enseignement bivalent.

    Mots-clés : lycée professionnel ; rapport au savoir ; enseignement bivalent ; discipline « français » ; motivation des élèves.


    1. Les différentes appellations de l’enseignement professionnel sont porteuses de ces évolutions. « Centre d’apprentissage » en 1945, il devient « collège d’enseignement technique » en 1959, « lycée d’enseignement professionnel » en 1973 et « lycée professionnel » en 1985.

    2. Le terme disciplinarisation est compris ici comme un processus qui permet de comprendre les transformations de la discipline « français » entre 1945 et aujourd’hui.La discipline « français » dans l’enseignement professionnel ne peut être réfléchie en dehors de la question des différents diplômes préparés (CAP, baccalauréat professionnel…), ceux-ci étant étroitement liés aux questions économiques et à l’employabilité au sein des différentes branches professionnelles. Dans ce contexte, dans les cadrages horaires des différentes sections, le français prend place à côté des disciplines professionnelles, largement majoritaires, ce qui fait du français un enseignement « dominé » (Troger 2008). Par exemple, un élève de baccalauréat professionnel « technicien d’usinage » accomplit par an 384 heures d’enseignement professionnel ; et 126 heures de français-histoire-géographie-enseignement moral et civique.

Créé le
dimanche 14 janvier 2018
Mis en ligne par
Jean-Pierre Sautot

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