La place de l’artiste dans la classe
15 novembre 2021 : date limite de réception des propositions.
15 décembre 2021 : réponse aux propositions
20 mars 2022 : réception de la première version des articles pour évaluation.
20 aout 2022 : envoi de la version définitive après évaluation.
15 décembre 2022 : parution (envoi aux auteurs, aux abonnés et dépôt en librairie).
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Dans une mise en perspective historique des réflexions sur l’éducation, comme pour d’autres questions de société essentielles, la période de la fin des années 1960 en France est généralement considérée comme un tournant. Temps fort de ces réflexions, le colloque d’Amiens « Pour une école nouvelle », organisé en mars 1968 par des représentants du champ émergent des sciences de l’éducation, constitue une porte d’entrée pour les discours militants en faveur d’une place accrue des arts dans le système scolaire. Certes, les méthodes de l’éducation nouvelle et les pédagogues célèbres qui les portent – Ovide Decroly, Maria Montessori, Célestin Freinet, notamment – ont déjà conquis un espace important dans les débats, dès la première moitié du vingtième siècle ; et la commission Langevin-Wallon, inspirée des conceptions du Groupe français d’éducation nouvelle, met en œuvre un programme très ambitieux de « classes nouvelles » au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Mais c’est véritablement à partir du colloque d’Amiens que l’éducation artistique devient un chapitre incontournable de la plupart des discussions et programmes d’action concernant l’évolution du système éducatif. Ce phénomène peut s’expliquer par de réelles affinités entre les apports possibles de l’art dans les établissements scolaires et les valeurs défendues par le courant de l’éducation nouvelle : la promotion des méthodes actives, la reconnaissance des enfants ou des adolescents comme des personnes à part entière et pas seulement comme de futurs adultes, la prise en compte de leurs centres d’intérêts et de toutes les dimensions du développement humain, au-delà d’une conception exclusivement intellectuelle des apprentissages, ainsi qu’une valorisation de l’action collective et coopérative tempérant l’esprit de compétition.
Au début des années 1970, s’engage un processus de construction d’une politique de l’éducation artistique fondée sur le principe d’une ouverture de l’école sur son environnement culturel et sur la possibilité d’interventions d’artistes dans les classes. Dès cette époque, un modèle d’action privilégiant la rencontre entre les mondes de l’éducation et de la culture, à travers la collaboration entre des enseignants et des artistes, se met en place. Les propos du poète Pierre Emmanuel, président de la commission des Affaires culturelles du vie plan (1971-1975), sont emblématiques de cette orientation : « Ainsi, tant que l’école ne sera pas ouverte aux artistes pour que les élèves puissent les questionner, les entendre parler en artisans spirituels de leur art, y-a-t-il peu de chances, sauf exceptions, de passer du savoir plus ou moins livresque à l’expérience directe de l’amour du métier. Or c’est cet amour qui convainc les jeunes esprits et que, parfois, un maitre aimant les arts communique. […] Peut-être alors, en s’approchant du meilleur de soi, l’artiste éveillera-t-il chez l’enfant cet immense appétit d’être plus qui tourmente l’humanité.1 »
Durant le dernier quart du vingtième siècle, le modèle partenarial se traduit non seulement par la mise en œuvre, sur l’ensemble du territoire, de nombreux projets pédagogiques centrés sur l’accueil d’artistes dans les classes et bénéficiant pour cela de financements publics, mais aussi par l’élaboration de textes officiels autorisant cette forme de coopération, signés par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture : protocole d’accord de 1983, loi de 1988 sur les enseignements artistiques, protocole d’accord de 1993 (dont les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Jeunesse et des sports sont également signataires). Cette forme d’action atteint son apogée au tournant du siècle avec le plan de cinq ans pour les arts à l’école, le Plan Lang-Tasca, élaboré conjointement par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture, qui prévoyait la mobilisation de moyens financiers et humains visant une mise en œuvre généralisée de classes à « projets artistiques et culturels » (classes à PAC). Ce plan a été interrompu en 2002, en raison d’un changement de gouvernement, et la notion de classe à PAC a plus tard laissé la place, dans la loi de 2013 sur la refondation de l’école, à celle de parcours d’éducation artistique et culturelle, qui reflète une volonté de permettre à l’élève de s’initier aux différents langages de l’art et de diversifier et développer ses moyens d’expression, tout au long de sa scolarité. Notre projet de numéro a pour principal objectif de mettre en lumière les apports et les limites de ces expériences pédagogiques dans le champ de l’enseignement du français.
L’identité même de cette discipline a connu et connait encore des mutations qui en ont modifié les contours et peut-être le sens, l’orientation. Bien qu’il soit toujours question de langue et de littérature, d’écriture et de lecture, de la maternelle à l’université et à des degrés d’expertise variables, l’enseignement du français, les discours qui accompagnent les pratiques et les représentations qui les portent présentent un visage assez hétérogène. Discipline mouvante dans un monde mouvant, sa définition et ses formes ne correspondent pas toujours aux idées que nous en concevons spontanément. Par exemple, Jean-Louis Chiss décrit un certain état de l’enseignement, tel que l’université le manifeste : « Liées organiquement au langage et aux langues, à l’écriture et aux littératures, les humanités entretiennent avec les arts une relation plus distanciée et problématique.2 » Plaçant ainsi en tension humanités et arts, J.-L. Chiss indique que, contre toute évidence, un domaine ne recouvre pas l’autre. En d’autres termes, l’enseignement du français (langue, littérature, écriture) n’implique pas nécessairement, comme son autre inévitable, une pensée ni même une référence aux arts. Traduisant implicitement une nouvelle conception de cet enseignement, les programmes de l’école maternelle et élémentaire ont introduit, depuis plusieurs années, la discipline Histoire des arts qui inclut les arts du langage aux côtés des arts du son, du spectacle vivant, de l’espace, du visuel ou du quotidien, et donc la littérature conçue comme un art à part entière. Dans le numéro 182 du Français aujourd’hui, Jean-Marie Baldner et Alice Barbaza interrogeaient le surgissement de cette nouvelle discipline, ses présupposés comme ses effets, et ils montraient ainsi que « l’introduction de l’Histoire des arts participe d’une certaine façon à la déstabilisation de la représentation que nous avons de notre propre discipline, mais elle nous pousse en même temps à en préciser les contours.3 » Salutaire retournement puisque c’est son altérité qui engage un retour de la pensée sur cet objet. Placée sous le signe du dialogue entre les disciplines, « sous l’égide d’une formation humaniste », elle apparait comme une « volonté de réponse aux évolutions des normes, des pratiques et de la consommation culturelle de la jeunesse.4 » La place dévolue à l’art et à l’artiste en est peut-être, sinon le vecteur, du moins le symptôme, l’un des symptômes parlants de ces mutations et de ces réorientations. « Nous postulons ici que sans parole sur et autour de l’œuvre, la rencontre avec ne peut avoir lieu. », écrivent J.-M. Baldner et A. Barbaza. L’une des formes que peut prendre cette parole sur et autour est bien évidemment celle de la rencontre avec le créateur de l’œuvre. Telle est d’ailleurs la perspective adoptée par Anne-Marie Mercier-Faivre et Christine Mongenot dans L’Auteur dans la classe5. Les auteurs partent du constat que cette rencontre, déjà inscrite dans les « pratiques ordinaires », trouve sans doute son origine dans la montée en puissance de la génétique textuelle et dans l’émergence de questionnements portant sur la médiation et sa nécessité, ainsi que sur les dispositifs à adopter dans ce cas. Par exemple, les indications données dans la Charte des auteurs et illustrateurs de jeunesse en 1975, constituent en quelque sorte un cahier des charges à l’intention des intervenants6. Justifiant l’investigation menée dans le volume, les auteurs concluent que des interrogations demeurent quant aux objectifs assignés à ces rencontres. Dans l’entretien mené par C. Mongenot, Bernard Friot pointe un certain nombre d’écueils en ce domaine et rappelle les propos d’Évelyne Réberg au sujet de la présence de l’écrivain en classe : « Il y a comme une mystique de l’apparition.7 » Nous souhaitons élargir ce questionnement à la place de l’artiste dans la classe, aux représentations qu’elle convoque, à la manière dont se préparent et s’organisent les rencontres, ainsi qu’aux buts qu’elles poursuivent. Ou, pour le dire autrement en reprenant quelques lignes de François Quet et en remplaçant le mot d’écrivain par celui d’artiste : « Où en est-on cependant de la représentation de l’artiste ? En quoi est-on davantage proche aujourd’hui d’une image plus exacte, plus fidèle à la réalité ? Quelles sont les mythologies nouvelles instituées par la rencontre de l’artiste associée aux médiatisations nouvelles de la création et du travail de l’artiste ?8 » En d’autres termes, enfin, est-il ce merle blanc que met en scène Alfred de Musset, image de l’artiste maudit, errant et solitaire, dont Nathalie Heinich9 a montré la permanence dans les imaginaires au fil du temps ? Ce questionnement s’inscrit très logiquement dans les enquêtes précédentes qui avaient pris acte et tenté d’analyser les nouvelles formes rencontrées par les élèves, comme nous le montrions avec ces « nouveaux livres-objets10 », ces nouvelles pratiques qui émergent à la jonction des disciplines, comme cette dialectique : « Textes et gestes de la maternelle à l’université11 ». Mais ce numéro s’imposait aussi par la place nouvelle des arts, que suggèrent par exemple la notion de « Parcours d’éducation artistique et culturelle » et l’histoire complexe qui la suscite.
Les propositions de contribution pourront porter sur un ou plusieurs des axes de réflexion suivants :
1. La dimension historique et institutionnelle de la présence des artistes au sein du système scolaire : la construction et les principes fondateurs des politiques d’éducation artistique en France ; l’ancrage institutionnel des projets d’éducation artistique fondés sur l’intervention d’artistes dans les classes, ses origines, ses formes et ses enjeux ; le développement d’une culture partenariale entre les monde de l’éducation et la culture ; les catégories d’acteurs impliquées dans l’élaboration et la mise en œuvre de projets pédagogiques.
2. Les enjeux pédagogiques et didactiques de ces actions : leur place dans les établissements et le cheminement des décisions les concernant ; les objectifs des enseignants et des autres acteurs concernés (chefs d’établissements, représentants de l’administration, artistes et structures culturelles) ; la répartition ou « négociation » des rôles entre les enseignants et les artistes ; les modalités de la préparation et de la mise en œuvre des actions pédagogiques dans la classe ; les rapports au savoir mobilisés et les implications corporelles ; la fonction et le déroulement des ateliers de pratique artistique.
3. Les bases d’une réflexion critique sur les apports pédagogiques de cette modalité d’intervention : les apports possibles des partenariats pédagogiques entre artistes et enseignants, les différents registres dans lesquels ces apports sont observés ; les modalités précises d’apparition de ces bénéfices (comment se réalisent-il concrètement dans le déroulement des projets ?), le cheminement selon lequel une rencontre, une pratique ou une transmission de connaissances artistiques peut se transférer dans l’apprentissage de la langue et de la littérature, les conditions (humaines, matérielles, organisationnelles) pour que ces apports et transferts apparaissent effectivement.
Les textes peuvent aborder une grande diversité de domaines artistiques (théâtre, danse, cirque, musique, arts plastiques, cinéma, photographie, par exemple), mais le dossier s’inscrit dans le prolongement de thématiques abordées dans des numéros précédents (notamment la place des auteurs dans les classes). Afin d’éviter toute redondance, les cas concrets de projets pédagogiques présentés et étudiés dans les articles de ce numéro ne devront donc pas être centrés sur l’intervention d’auteurs de textes littéraires.
1 P. Emmanuel, Pour une politique de la culture, Paris, Seuil, 1971.
2 E. Fraisse (éd.), Les Études françaises et les humanités dans la mondialisation, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociale »s, 2018.
3 J.-M. Baldner & A. Barbaza (éds), « Histoire des arts : de la notion à la discipline », Le français aujourd’hui, n° 182, septembre 2013, p. 5.
4 Ibid., p. 3.
5 Le français aujourd’hui, n° 206, septembre 2019.
6 Répertoriant et inscrivant « des actions et des types d’interventions susceptibles d’être assurées par les auteurs dans différents espaces sociaux, dont au premier plan les rencontres avec les jeunes lecteurs dans l’espace scolaire ».
7 A.-M. Mercier-Faivre & C. Mongenot (éds), « L’auteur dans la classe », Le français aujourd’hui, n° 206, septembre 2019, p. 123.
8 Ibid., p. 136.
9 N. Heinich, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, coll. « NRF ».
10 F. Gaiotti, C. Lapeyre-Desmaison & B. Marin (éds), « Les nouveaux livres-objets », Le français aujourd’hui, n° 186, septembre 2014.
11 V. Ducrot, C. Lapeyre & S. Martin (éds), « Textes et gestes de la maternelle à l’université », Le Français aujourd’hui, n° 205, juin 2019.