«Qu’est-ce qu’une trace?», se demande Carlo Ginzburg. Une empreinte, des déjections, une branche cassée, un filet de bave représentent, pour le chasseur néolithique, des traces, parfois infinitésimales, à partir desquelles il reconstruit l’aspect d’un animal. Cette reconstruction, poursuit l’historien, excède de loin la matérialité de la trace. Elle implique des opérations cognitives complexes qui, élaborées au fil de l’expérience et cumulées par des générations de chasseurs, consti-tuent un «patrimoine de connaissances». Ce «savoir indiciaire», en somme, selon les termes du chercheur, relatif à la chasse, donne à son dépositaire cette capacité remarquable de reconstituer une réalité complexe sans avoir «sous les yeux» des faits directement expérimentables. On sait le rapprochement qu’opère l’historien entre toutes ces disciplines qui, faute d’accéder directe-ment aux faits et dans la difficulté de reproduire les causes, infèrent ces der-nières à partir des effets. L’enseignant, à l’instar du chasseur, n’a pas accès di-rectement aux transformations profondes causées par tel ou tel enseignement. Il apprend à reconstruire des mouvements à partir de traces parfois infimes. De même, le chercheur en éducation, pour saisir un apprentissage, pour rendre compte de l’efficacité de tel ou tel dispositif, réalise des opérations complexes dans le cadre de méthodologies qui apparentent les sciences de l’éducation aux disciplines que Ginzburg classe dans le «paradigme indiciaire».